Le service de Saint Sava, par Matija Beckovic
Un des plus grands miracles du plus grand de nos thaumaturges est en train de s’accomplir de nos jours. C’est le miracle de la construction de l’église Saint Sava1 sur le Vratchar2. Ici, tout est miracle : et là où elle est construite, et qui la construit, et quand on la construit.
Nous bâtissons notre plus grande église alors que notre foi est au plus bas. C’est la génération déchristianisée, d’une époque sans Dieu, qui l’entreprend. La génération d’une époque où l’on croyait que les églises ne serviraient plus à rien et où l’on était sûr que l’on en construirait plus d’autres, en cette époque indue qui a vu naître, pour la première fois dans l’histoire, des villes privées d’églises.
Dans le Belgrade de l’après-guerre, depuis un demi-siècle, aucun lieu de culte n’avait été construit. Aucun – pas même le plus petit. Celui dont la construction est en cours aujourd’hui est donc le premier et l’unique, seul autorisé in-extremis – et si difficilement ! Et ce sera la plus grande église du monde orthodoxe, l’une des plus monumentales du monde entier. Ce sera le plus grand temple de Dieu construit à notre époque, par quelque nation ou religion que ce soit.
Belgrade, tête nue se couvre d’une coupole surmontée d’une croix qui, dit-on déjà, sera visible depuis Sofia. Il en a été souvent ainsi dans l’histoire serbe : une longue absence, un oubli prolongé où rien n’est possible – et soudain le sursaut de la mémoire, puis tout revient et tout se rassemble. C’est à la génération la moins méritante, celle qui n’a su payer aucune dette, qu’échoit d’acquitter la dette la plus grande, la dette envers celui à qui nous devons le plus.
Et ce n’est que justice : c’est la génération qui a bâti le moins d’églises qui devra bâtir la plus grande, cette génération qui a tant détruit et si peu créé !Les églises étaient bien le dernier de nos soucis, et nous n’avons maintenant rien de plus pressant que de construite l’église de Saint Sava ! À l’heure où l’on ne construit presque plus rien, nous construisons l’église de Vratchar ! Car ce qui est en train d’être construit, c’est ce dont l’on ne peut se passer, c’est ce que l’on doit bâtir.
Nous bâtissons l’église de tous les rassemblements alors même que nous sommes plus dispersés et plus divisés que jamais. L’église que nous n’avions pas bâtie au long des siècles, alors que nous étions plus riches, plus fidèles, plus unis et plus dignes – nous la bâtissons maintenant alors que nous sommes plus dispersés, plus divisés et plus appauvris que jamais ; sans foi, égarés et errants.
L’église que nous construisons ne peut être bâtie que par tous, elle ne peut être l’oeuvre d’un parti, d’une fraction.
Nous érigerons la plus grande église de l’univers chrétien alors que nous avons la plus petite taille nationale, alors que nous sommes dévalorisés à nos propres yeux, effondrés aux yeux du monde. Nous érigeons la croix la plus visible dans les Balkans au moment même où nous ne savons pas vers où il faut diriger les regards, vers quoi lever les yeux.
Nous en élevons l’autel sur de vieilles et larges fondations, alors même que chacune de nos pierres vacille et que nos fondements s’ébranlent. L’église dont la signification profonde est lumière – alors que tout sens en nous s’est obscurci. Et peut-être ne pouvait-il en être autrement. Maintenant nous savons que tout ce que nous avons appris et acquis est à mettre au profit de cette entreprise. C’est là que tout ce qui est serbe s’assemblera, c’est là que l’incommensurable élira Sa demeure ; l’invisible S’y découvrira.
Par cette église de Saint Sava, le peuple serbe – selon le mot heureux du Patriarche Dimitri3 – aura perpétué ce qu’il avait reçu de son passé. Par cette église nous recouvrerons la perspective que nous avions perdue. Cet édifice, inauguré par un État orthodoxe, fut interrompu par la guerre. Il fut ajourné et remis en temps de paix, sans bombardement, ni occupants étrangers. II avait été écurie, puis garage, il faillit devenir cirque. Lorsqu’il eut accompli sa « passion », lorsqu’il eut passé par le feu, l’humiliation et les moqueries – beaucoup de ceux qui lui avaient été opposés devinrent ses adeptes et ses partisans.
Il y eut des jours ou aucun Serbe au monde ne pouvait croire que l’église de Vratchar pût jamais être bâtie. Longtemps les murs de Saint Sava eurent un aspect d’abandon, l’aspect du foyer éteint du peuple orthodoxe serbe. C’est bien pour cela que la construction de l’église de Saint Sava est comme une autre résurrection, une nouvelle preuve que ce que nous ne savons pas est plus profond que ce que nous savons, que toute puissance est limitée dans le temps, qu’il est une Raison qui dépasse toute raison, une Toute-Puissance qui excède la puissance. C’est pour cela que l’église de Vratchar est plus grande que nous, plus profonde que notre raison, de même que l’image de Saint Sava grandit de siècle en siècle.
Ce n’est pas nous qui construisons l’église, c’est l’église qui nous construit. Nous ne recueillons pas pour l’église, nous nous recueillons nous-mêmes. Si elle doit avoir la plus grande envergure c’est pour se maintenir au-dessus des abîmes et des précipices qui sont les nôtres, pour pouvoir nous enseigner ce qu’il faut faire et ce que nous devons être – car comment pourrait-on être Serbe si l’on n’est point humain ?
Le lieu de l’église a été élu par le saint lui-même, il y a trois siècles, en ces jours de mai où ses reliques subirent le martyre du feu. Le plus profond de nos visionnaires a amené la haine aveugle de l’incinérateur de ses reliques à commettre son sacrilège sur le point culminant de la future capitale du peuple de Sava.
L’incinérateur cherchait un lieu pour le bûcher et le saint pour son église. Et, depuis lors, ces deux principes se combattent. Le feu ne souilla pas le saint, il éclaira l’esprit de son peuple. Le bûcher devint une lumière éclairant la Vénérable Croix – et il a guidé le cheminement du peuple serbe à travers les ténèbres de l’histoire.
Le lieu d’incinération de Vratchar est devenu le foyer spirituel du peuple serbe. Ce bûcher nous a rassemblés et réchauffés, ce foyer nous a spiritualisés. Cet étendard de feu nous a guidés à travers toutes les batailles et tous les calvaires de libération. Ce foyer est devenu la prunelle ouverte de l’oeil de Saint Sava, le regard de l’âme du peuple, la colonne de feu autour duquel nous nous rangeons.
Les cendres de Sava se sont retrouvées dans tout foyer qu’un Serbe aura attisé. Nous sommes liés par ces cendres, ces cendres sont parmi nous.
Sur le Vratchar le martyre d’outre-tombe de Saint Sava se joint au martyre du peuple serbe. Saint Sava n’est que la tête de file de la lignée ininterrompue des Serbes qui, jusqu’à nos jours, sont allés au feu pour la seule raison qu’ils se signaient de la croix de Saint Save et qu’ils appartiennent à la foi orthodoxe qui fut celle de saint Sava.
Car qui bâtit l’église de Saint Sava ? Ce sont ses cendres qui la bâtissent, elle se bâtit par elle-même. Elle se bâtit par ces murs de fondation qui persistèrent et qui ont eu gain de cause par eux-mêmes6. La brèche qui s’ouvrait au coeur noirci de la Ville-blanche (Belgrade) criait d’elle-même. C’est comme si les pierres de Saint Sava se ressemblaient d’elles-mêmes sur le Vratchar, tel le bâton deSaint Sabbas de Jérusalem qui s’était incliné de lui-même à l’entrée de Saint Sava dans l’église à Jérusalem7.
Les cendres du saint « dispersées à travers toute la serbité » se sont unies à chaque parcelle de terre de son pays. Chaque étincelle est tombée dans le coeur d’un Serbe, chaque éclat est devenu comme une lueur s’éclairant où qu’il se trouvât.
Sur le Vratchar notre Christ8 fut non seulement crucifié, mais aussi brûlé. La terre serbe n’est pas passée seulement par le Golgotha mais par le feu aussi. Le martyre post mortem de Saint Sava ne s’est pas achevé sur le bûcher de Vratchar : de même qu’il apparaissait de son vivant en tout lieu et en chaque maison, de même il a souffert après sa mort en de multiples endroits et sous divers noms. Saint Sava naissait au cours des siècles dans les os de ses enfants – os toujours reconnus et de nouveau brûlés.
Dans la Miléshéva9 délaissée et désertée, les Turcs crevèrent sur les fresques les yeux du Saint roi Étienne le Premier Couronné10, et des rois Radoslav 11 et Vladislav. À Krushédol ils brûlèrent les reliques du dernier despote Brankovich12.
Et qui d’autre a pu être brûlé dans l’église de Glina13, si ce n’était Saint Sava ? Qui d’autre a pu souffrir le martyre à Jadovno14 et àJasenovac15 – le plus grand martyrologe dans les plus longs diptyques du peuple serbe ? Qui d’autre que Sinan Pacha a pu mettre le feu au patriarcat de Petch en 198116 ?
Quiconque a souffert le martyre a souffert sur le Vratchar, et quiconque a été jeté au feu, c’est sur le bûcher de Vratchar qu’on le jetait.
En tous ces briseurs de croix, en tous les brûleurs d’hommes de cette époque, nous reconnaissons ceux-là mêmes qui étaient sur le Vratchar en ce vendredi Saint du 27 avril 159417. Ce sont eux qui attisent le feu en le nourrissant de nos os, dont ils n’ont jamais assez. Ainsi pouvons-nous dire, avec le poète populaire :
Ce ne fut pas Sava Trlaich,
Ce ne fut pas Platon Jovanovitch18,
Pas non plus les écoliers de Serbie19,
Ni les enfants de la Kosara20,
Ni tous ceux qui n’ont pas eu de tombe,
Mais ce fut encore Saint Sava.
C’est pour cela que sur le foyer du Vratchar s’érige l’église-mémorial à toutes les cendres serbes, à tous ceux qui furent mis à mort par tant de mains et en des temps différents, à tous ceux qui ne seront jamais morts pour nous. Les chaînes de montagnes des cendres serbes s’étendent à travers la planète.
C’est pour cela que l’église de Saint Sava doit être la plus haute, et la croix qui la sommera, la plus grande et la plus droite, car c’est la croix unique érigée pour le peuple innombrable qui repose sans croix dans la terre du Saint Sava.
C’est pour cela que l’église de Saint Sava n’est pas seulement une église, encore moins un simple bâtiment, un édifice, ni même un monument du calvaire de ce qui nous est le plus sacré, ni l’église consacrée à un Saint – pas plus que le champ du Vratchar n’est un champ parmi d’autres.
L’église de Saint Sava n’appartient à personne, nous lui appartenons tous. Ce que l’on peut diviser n’est pas Saint Sava. Son église est l’édifice de tous les temps, construite par toutes les générations, par tous nos patriarches, pasteurs, aïeuls et pères. Alors même que sa construction était en suspens, elle se préparait d’elle-même. Et lorsqu’on cessa de la bâtir elle ne fut point désertée.
Elle a été bâtie par toutes nos églises, de Skadar à Zadar, de Mostar à Kotor, de Chilandar à Budapest, de Gomirïé à Gorniak, de l’église de Saint-Sava érigée par Saint-Sava à Sidney, Johannesbourg, Buenos-Ayres, Los Angeles, Sacramento, Vancouver, Edmonton, Libertville, Milwaukee, New-York, Cleveland, Toronto21…
Nous ne la bâtissons pas à l’époque que nous avons choisie mais à celle qui nous a choisis. Nous la bâtissons élevée pour qu’elle nous élève. Nous la bâtissons haute afin de nous élever à sa hauteur. Nous la bâtissons au nom de tous ceux dont nous portons les visages, au nom de ceux que nous avons remplacés ici-bas.
Celui qui jadis bâtit Jitcha22, Studenica23 et Chilandar24 nous édifie pour que nous édifions l’église de Saint Sava. Ce n’est pas pour conserver la mémoire de Saint Sava que nous la construisons, mais pour qu’il nous préserve (de l’oubli). Ce sont aussi nos tombeaux vagabonds qui ont l’ombre la plus longue, l’ombre qui par-delà les sept océans tombe sur le visage même de notre patrie.
La bâtissent aussi nos amis des autres nations et des autres religions, ces frères de souffrance avec qui nous avons partagé la croix et le sort de l’histoire25. Elle est bâtie aussi par le saint inconnu, celui que Dieu seul connaît.
L’église de Vratchar ne peut être construite que par nous tous, à condition que personne ne fasse défaut, « même pas le ver sous l’écorce de l’arbrisseau ».
Elle a un peuple suffisant pour être bâtie, elle sera à l’échelle de ce peuple. Si tous y contribuent elle sera plus précieuse que si un seul donnait tout. C’est celui qui n’a rien qui donnera le plus. Nous donnons pour être plus riches, personne n’en sera plus pauvre ; nous donnons pour être agrandis, personne n’en sera diminué. C’est pour nous surpasser nous-mêmes, et non pas pour surpasser les autres églises.
Elle nous enseigne ce qu’il faut faire de nous-mêmes pour lui être utile, et nous ne savons pas encore ce qu’elle pourra nous demander. Suivons-la pour voir où elle nous conduira, pour comprendre ce que nous bâtissons. Soyons à son service – nous avons suffisamment été au service de ce qui nous est inférieur. Ce sera une occasion de mesurer combien nous lui appartenons. Si nous lui répondons tous, nous saurons qu’elle est nôtre. Que nous avons tous une part en ce qui est indivisible.
Ce qui est divisible n’est pas Saint Sava. Chacun y trouvera la porte pour entrer. Celui qui n’entre pas – n’aura plus où entrer ; celui qui n’y contribue pas – n’aura plus à qui donner, celui qui n’y trouve pas son église – n’en trouvera point d’autre. Il serait même indécent de solliciter et de convaincre pour cette église : malheur à la nation qui n’aurait pas contribué pour une telle oeuvre.
L’église de Vratchar appelle ses enfants, où qu’ils se trouvent, quels qu’ils soient, à s’incorporer à son édification. Elle leur désigne et leur indique la place qui leur est réservée. Elle leur suggère directement comment s’y consacrer et quand il faut s’y incorporer. De même que Saint Sava guidait et sauvait les égarés, de même aujourd’hui c’est l’église de Saint Sava qui les interpelle et les trouve. C’est justement pour cette raison que l’église de Saint Sava n’a jamais eu une signification aussi profonde que de nos jours.
On pourra voir sur l’église qui s’y est refusée, et qui s’y est abstenu ; elle ne pourra le remplacer. On pourra le voir sur ce corps de Saint Sava que nous sommes en train de reconstituer sur le Vratchar, sur ce corps dont nous sommes les parcelles.
C’est peut-être la tradition des chaînes de Saint Sava qui nous donnera le meilleur des enseignements sur la manière de contribuer à l’édification de son église.
Un miséreux, n’ayant rien à poser sur la châsse de Saint Sava à Miléshéva, – prit la crémaillère de sa pauvre maison. Ayant honte de la porter nue, il l’enveloppa dans ses haillons de misère pour la déposer contre la châsse. Quelques temps après, des gens riches et notables remarquèrent le paquet, s’étonnèrent d’un don aussi pauvre et ordonnèrent qu’on le jetât dehors.
Aussitôt la châsse de Saint Sava commença à trembler, les flambeaux des cierges vacillèrent et s’éteignirent. Cloués sur place par une force inconnue, ces gens ne purent s’en délivrer que lorsqu’ils eurent remis à leur place les chaînes de la crémaillère et qu’ils les eurent baisées.
La tradition serbe dit que c’est ainsi que l’on connut l’existence de ces chaînes et qu’on les vénéra.
Le pays serbe tout entier est orné du nom de Saint Sava, depuis le champ de Sava près de Chilandar, en passant par la rivière Sava, Savina, Savinac, Savova, Savovska, Savanovac, le village de Sava, jusqu’à la source de Sava au sommet du Mont Durmitor.
Sur les pas de Sava, à travers le pays de Sava, on peut voyager de monastère de Sava en couvent de Sava. La géographie serbe est la biographie appliquée de Saint Sava.
Les pas de Sava l’ont marquée à jamais : falaises, collines, sources, monts escarpés, « selles », « chaises », » tables », « repos ». Ainsi sont perpétués ses chaussons de pierre, ses lits pétrifiés, ses bâtons et jusqu’à la gourde dont il buvait l’eau. Les côtes de Saint Sava on laissé leur empreinte à jamais dans le paysage. C’est la plus grande côte que l’un de nous ait eu, et nous en sommes tous issus.
Saint Sava a visité tout lieu – ou du moins, l’a-t’il béni de loin avec son bâton. Aussi, tout matériau de cette église porte-t’il déjà l’empreinte de Saint Sava, et c’est pour cela que tout doit être incorporé dans cette construction – y compris le loup de la montagne, dont Saint Sava est le berger26.
En elle doivent se refléter les lacs de Plav, de Moratcha, de Tchumich, le Lac Noir et les autres, car ils furent créés par Saint Sava. Comme le cours d’eau de Sava – qu’il créa pour ne pas être rattrapé par Saint Paul.
En elle encore on doit entendre le Torrent de silence sur la Tara près de Kolachin – qui se tait encore, car Sava le lui a ordonné pour qu’on l’entende parler. Et l’étendard des insurgés de Banat », et la cloche de la Grande École28, à l’effigie de Saint Sava. Et le coude de Sava près de Priyepolie, où, fatigué, il s’était appuyé. Et Tsarevats, dans la région de Pojarevac, connue pour le vent « Koshava », le seul village où « Koshava » ne souffle pas car c’est Saint Sava qui l’en a exempté et béni.
En elle doivent être rassemblés tous les « bâtons » (sceptres) » que Sava oubliait – délibérément – un peu partout, car ceux qui les détiennent ne peuvent plus s’égarer, et ce sur quoi on en fait le signe de croix ne peut s’épuiser. Et Polumir (« Demi-paix ») entre Rashka et Kralievo où il réconcilia 30 – à demi – ses deux frères ennemis.
Et le Tubercule de Sava, et l’Œil de Sava, et le Rocher de Sava dans le Vardar, et le Mont Sava à Grahovo et tous ceux qui font le jeûne de Sava dans Baniya et Lika, pour qu’il préserve leur bétail des loups.
Et les vestiges des nombreux sarcophages de pierre dont on affirme que ce sont ceux où Saint Sava se cachait pour tromper l’ennemi. Et la chasse de sa translation en bois odorant, dans laquelle il fut porté par les moines de Miléchéva « à travers les chemins escarpés et impraticables », et que l’on conserve dans la Sainte Trinité de Plevlia – chasse, qu’il n’y a guère, un musulman utilisait pour y conserver ses poires sans qu’elles se perdent et leur donner un agréable parfum.
Et ces sanctuaires des environs de Belgrade, à Ripanï, à Vintcha, à Kaludierica, et à Rakoviva, où il fut un moment caché par les moines avant le bûcher de Vratchar.
Dans l’église de Saint Sava nous communierons enfin au vin de Sichevo, car c’est à Sichevo que l’on a donné du vin à Saint Sava lorsqu’il demandait de l’eau – ce qui valut au pays d’abondantes vendanges.
« L’indigne, l’inutile et inepte moine Sava » – ainsi qu’il se désignait lui-même31 – est le symbole de toutes les aspirations serbes au bien.
Sava est le « nom commun » de notre peuple. C’est pour cela que ce peuple rattache à Saint Sava tout ce qu’il a et tout ce qu’il sait : grottes et livres, arts et métiers, sources, fruits et arbres. « Sur une seule tête repose toute la gloire révolue ».
Quatre siècles se sont écoulés entre Saint Sava et Saint Basile d’Ostrog32, mais la tradition populaire veut que Saint Sava ait béni la mère de Saint Basile lorsqu’elle lui donna de l’eau de pluie après avoir lavé la coupe. Saint Sava lui dit : « De toi sortira le corps très pur ».
Tout ce qui est bien l’est parce que c’est Saint Sava qui l’a béni. Tout ce que l’on ne comprend pas est expliqué par Saint Sava. ÀSretenie se sont rencontrés les frères de Saint Sava, à Peruchica il a lavé les sabots de son cheval, à Srebrenica il a caché un trésor ; c’est à Smishljane qu’il a médité et la Butte Blanche à Kopaonik était noire avant d’être bénie par Saint Sava ; Yelika (sapin) est verte parce que Saint Sava s’y est reposé lorsque le Seigneur lui est apparu pour l’appeler au ciel… II ne faut pas d’étonner devant le bonheur de quiconque a vu Saint Sava visiter sa maison.
Saint Sava est notre saint le plus national, il condense toute notre compréhension du christianisme. Son mérite est de nous avoir introduits dans le christianisme par des gens de chez nous, et que nous ayons été comptés parmi les chrétiens sous le nom qui est le nôtre. Notre intercesseur céleste commun, « le seul qui, en dehors du Christ nous appelions maitre », s’est identifié au Christ et a subi son martyre. Domentian33 écrit que le Christ l’a élu dès les entrailles de sa mère.
Dans nos contes populaires, le personnage le plus présent est Saint Sava. Les noms des personnages de l’Évangile y ont été remplacés par celui de Saint Sava. Moïse a sauvé les fils d’Israël et Sava les Serbes. Le Christ a maudit la figue et Saint Sava la cerise et le bouleau. Les thèmes du Livre de Job, où Dieu met à l’épreuve le juste, celui qu’il aime le plus, sont les plus fréquents dansia littérature populaire. Saint Sava, lui aussi, et à l’épreuve son peuple des siècles suivants.
Lorsque le mendiant lui tend tout ce qu’il possède – les vers de ses plaies – il voit dans sa main, en place des vers, des ducats. Et quand le miséreux, le Job serbe, accepte – car il ne possède rien d’autre – de faire rôtir son propre enfant, il retrouve l’enfant dans le four jouant avec une pomme d’or.
C’est Saint Sava qui a enseigné aux Serbes les métiers qui sont plus anciens que lui et il a participé à la création du monde qui l’a vu naître. La chanson populaire l’a situé au commencement du monde:
Saint Pierre les chaleurs de la Saint Pierre,
Saint Sava les glaces sur les eaux.
C’est lui qui a repris le Soleil à Satan et l’a rendu à Dieu. C’est lui qui nous a arrachés à la gueule du loup, il nous a fait sortir du monde d’en-bas pour nous emmener dans celui d’en-haut. Alors qu’un homme se plaignait à lui de son sort, Saint Sava lui conseilla: « Console-toi du sort commun des hommes, afin que nous n’importunions pas Dieu pour toi seul. »
De même qu’il était devenu le père (spirituel) de son propre père, ce caloyer34 est le père de tout le peuple serbe35.
De même que Saint Pierre était tisserand, et que le Sauveur avait appris le métier de menuisier, Saint Sava est devenu le saint patron des artisans serbes : cordonniers, drapiers, cordiers, selliers.
L’ombre et les pas de Saint Sava sont les premières images de sculptures du pays serbe, mais c’est lui qui fit venir en Serbie les premiers grands peintres et sculpteurs. Il a fondé les premières cellules hésychastes, mais ces cellules ont été nos premières salles de classe et nos premiers hôpitaux, et leurs habitants furent premiers écrivains et traducteurs.
Il introduisit le jeûne obligatoire, mais la lecture l’était aussi. Il fit durcir les genoux des moines, mais jeta les bases des règles du Droit et de l’Etat36.
De son sceptre il faisait jaillir les sources, mais il fit vivre aussi la première phrase saine en langue serbe. Il apprenait aux femmes à ne pas rompre le fil sur le métier, mais il fit en sorte de ne pas laisser arracher les pousses de son peuple, pour que le patrimoine ancestral ne dépérît point.
Il enseigna à la couturière à coudre avec un fil court, mais il écrivait avec l’art suprême, l’art de l’intériorité.
D’après la tradition populaire, avant Saint Sava les Serbes forgeaient le fer à froid. Il leur enseigna à le chauffer à blanc, mais embrasa encore plus leur coeur pour la croix vénérable et la foi orthodoxe. Il redressa nos pas, mais aussi notre esprit. Il a béni le lait pour le rendre blanc, et notre âme pour qu’elle ne noircît point.
Il a forgé la première identité du peuple serbe, et c’est à partir de lui que nous savons qui nous sommes, ce que nous sommes et à qui nous appartenons.
C’est à pleins seaux que les Serbes chassaient les ténèbres de leurs maisons avant Saint Sava. Il leur apprit ce qui est bien plus important encore : comment ouvrir les fenêtres de l’âme et chasser les ténèbres d’eux-mêmes. C’est la fenêtre la plus importante que nous ayons ouverte dans notre histoire. La clé en sera conservée en l’église de Saint Sava.
Il a bâtit des ermitages, des cellules d’ermites – mais il interdisait de s’y abandonner à l’oisiveté, à l’ignorance, au commerce. Il ordonnait à l’eau de jaillir – et aux moines de « ne pas rester à s’engraisser, mais d’aller par le monde prêchant la foi au Christ ». Il créa le chat avec un gant, mais l’ombre de sa main reste toujours sur nous.
Il a fondé l’homme serbe, c’est là son .dessein le plus profond, la bâtisse la plus durable et la plus grande de ses fondations pieuses. De même que Dieu avait souvent caché Sava afin de nous préserver des persécuteurs, ainsi Saint Sava fit-il lever un brouillard autour du peuple pour qu’il ne fût point visible, et lui donner le temps de maîtriser sa conscience et de prendre ses responsabilités, pour garder ses mains et son cœur des solutions de facilité.
Il l’a mené jusqu’aux limites de l’existence, mais il lui a du moins enseigné de ne point avoir de haine pour quiconque et de n’avoir de dette de sang envers personne.
Saint Sava est constamment dans le feu, mais jamais il ne se consume. Il se chauffe assis sur le foin, le feu brûle et le foin ne se consume pas.
Il a été battu, injustement accusé et jeté dans le feu, et quand on venait pour ramasser ces cendres on le trouvait intact. Celui qui était avec lui restait sous la protection de son manteau.
Comme personne Saint Sava eut foi en son peuple. L’autocéphalie de l’Eglise de Serbie ne servit point la division, mais l’unité du peuple serbe. Il n’a point voulu que l’Eglise, étant éternelle, pût servir les conflits de ce monde.
Par son nom nous avons fait fermenter et par ses prières nous avons fait mûrir le fromage37. Il bâtissait les monastères « contre la crête des vagues de la mer », il arrêtait et changeait le cours des rivières, faisait tomber des nuages des pierres de glace – mais le miracle qu’a toujours préféré son peuple est celui qu’il considérait comme le plus grand : la réconciliation de ses deux frères devenus ennemis, alors que « le pays était profané par l’iniquité et meurtri par le sang, alors que nous échûmes au butin des étrangers – alors que nos ennemis se moquèrent de nous à cause de nos haines, au point que nous fûmes livrés à l’opprobre et à la chicane de ceux qui nous entourent 38« .
Pour le peuple serbe, le tombeau est le plus important des sanctuaires, la plus ancienne église. Le tombeau est notre foi la plus durable et la plus constante. Nous jurons toujours par les ossements et par les tombes, et nous n’avons toujours pas d’appui plus solide, de remède meilleur ni de conviction plus ferme. Ce sont avant tout les tombes qui nous ont édifiés, encouragés et assagis. Les Etats se sont fait des guerres pour des ossements, ils sont fondés sur des ossements, ils se sont fortifiés et délimités par des ossements.
Saint Sava achetait des reliques à prix d’or pour les apporter « dans le pays de ses gens. » C’est ainsi qu’ont abouti en Serbie, après lui, les reliques de Sainte Parascève, et de l’Evangéliste Saint Luc. C’est ainsi que « la citadelle de notre Eglise a été ornée par des saints », au cours des siècles. Et pourtant le plus saint des tombeaux est celui qui n’existe pas.
Saint Sava n’est pas le seul Serbe qui n’ait point de tombe, et Sinan pacha ne fut qu’un briseur de tombe parmi d’autres39. Saint Sava n’est pas le seul qui, mort, ait fait peur à l’empire ottoman. La guerre des tombes n’a pas encore pris fin.
Mais celui qui n’a pas de tombeau, A toutes les tombes pour lui.
Notre pays repose aussi sur Ies saintes reliques de Siméon le Myroblyte, d’Etienne Détchanski40, du Tsar Lazare », de Basile d’Ostrog, il repose sur la tombe de Lovchen42 – mais surtout sur les tombes inconnues, et sur le tombeau qui n’existe pas – le tombeau de Saint Sava.
Nos chants populaires témoignent aussi de l’incessante guerre contre les tombes, telle celle-ci sur Jean Vishnich :
Sur la tombe de Vzshnich Jean :
« Comment est-il en bas Jeanot ?
Les planches d’érable t’oppressent-elles ?
La terre noire te pèse-t-elle
D’en bas une voix répond :
Les planches d’érable ne m’oppressent pas,
La terre noire ne me pèse pas,
Je n’ai point de mal d’être ici,
C’est Boitchich Alie qui m’importune,
Depuis trois jours il piétine ma tombe,
Sans arrêt me provoquant au duel.
Si je ne réponds pas à son défi,
Le premier Dimanche qui suivra,
Il viendra ouvrir ma tombe
Il dressera un grand bûcher, Il fera brûler mes os,
Et jettera mes cendres au vent,
Pour faire disparaître ma tombe.
Va donc dans la plaine de Kotare,
Voir mon frère d’adoption Jankovich Stoïan,
Qu’il veuille bien me remplacer,
Les os morts ne se battent pas en duel ».
Personne n’a enduré autant de fureur que le cierge. Tempêtes, inondations et troubles ont été soulevés et menés pour éteindre sa flamme vacillante. Toutes les ténèbres se sont ruées sur lui mais il tient bon. Cette parcelle de lumière solitaire est proclamée synonyme d’obscurité. Saint Sava a allumé de son corps notre plus grand cierge – et ce cierge est inextinguible. Il brille à la place de tous ceux qui furent éteints. C’est autour de ce cierge que nous construisons l’église dé Saint Sava.
Saint Sava a été le premier enfant Serbe qui fût né dans une maison qui eût sa bibliothèque, celle de son père. « C’est là qu’il a appris la lecture, l’écriture, le calcul, les langues étrangères. » II y avait là la plupart des livres et manuscrits slaves. On suppose que le premier livre qu’il ait lu fut la vie de Saint Cyrille, l’apôtre des Slaves, et que son prénom (Rastko) dérivait de celui du prince morave Rastislav, héros de cet ouvrage, qu’il aurait pris pour modèle43. Aucun Serbe n’a autant voyagé par le monde tout en gardant autant d’attachement à son pays et d’affection à ses compatriotes.
II côtoyait empereurs et sultans, mais ne dédaignait pas pour autant les pâtres et les gueux serbes. II était bien vu dans les cours, mais trouva le temps d’aider Pierrot le berger à garder son troupeau lorsqu’il était malade. Il alla jusqu’à Jérusalem, mais visita jusqu’aux derniers recoins de la Serbie, ses moulins et ses chaumières, en simple voyageur, en cousin ou en voisin avec qui on pouvait toujours parler « d’homme à homme ». Et il les sommait toujours : « de ne pas dédaigner leurs prochains. »
Ce prince mangeait le pain sec avec modération et buvait de l’eau avec retenue, entretenant toujours la soif. Il marchait pieds nus sur lai rocaille, alors que son père l’autocrator » Némania, le suppliait : « Aie pitié de Moi, mon enfant, c’est mon coeur que tu frappes par les pierres que tu foules de tes pieds45. »
II n’a pas divisé, mais au contraire consolidé, l’Eglise qu’il désignait comme celle des Serbes -et elle est restée au travers des siècles et jusqu’à nos jours le seul toit que les Serbes aient eu au-dessus de leurs têtes.
Nos églises sont délabrées et désertes – ainsi que nous-mêmes. Nos fresques sont profanées, blessées, martelées et dégradées – ainsi que nous-mêmes. Les visages des saints sont meurtris, il ne subsiste plus que des fragments de leurs nimbes – c’est ce qui subsiste de nous et de notre gloire: la moitié d’une tête, un oeil sans prunelle, une main sans épaule, des mains sans doigts, broyés et fracassés – ainsi que nous-mêmes. Nous ne pouvons pas même les imaginer tout entiers. C’est comme s’ils montraient ce qu’il en est de nous, comme s’ils voulaient nous être plus proches et plus semblables, partager notre sort.
L’état qui est le nôtre est celui de ce qui reste d’eux. Ils étaient entiers tant que nous l’étions, ils le seront à nouveau si jamais nous redevenons entiers et accomplis.
De même qu’une moitié de tête nous suffisait depuis longtemps, qu’un seul oeil nous était plus qu’il en faut, de même les murs inachevés de l’église de Saint Sava nous ont longtemps suffi. Ils nous ressemblaient le plus, semblables à notre raison, à notre Eglise46, à notre sort. Ces murs de lamentations nous convenaient, plus que les églises achevées.
C’est dans les cendres que nous fouillons, récupérant les bribes de nous-mêmes et nous nous élevons en même temps que l’église – afin qu’elle soit prête pour le jour où nous nous rencontrerons avec nous-mêmes et avec Saint Sava.
Si la contribution d’une nation à l’histoire du monde se mesure à la profondeur de ses plaies -notre plaie la plus profonde est celle du Kossovo.
Kossovo est le mot serbe qui a le plus de prix.
II est payé par le sang du peuple tout entier. C’est au prix de ce sang qu’il siège sur le trône de la langue serbe, au plus profond de la conscience nationale. Il fut acquis au prix du sang et ce n’est qu’à ce prix qu’il peut être perdu 47.
Kossovo est la Gethsémani serbe, jadis et maintenant « assombri par la honte et la trahison48« . Le Vratchar est apparu à Kossovo. Le champ remplace le champ, Lazare y a remplacé Saint Sava, pour gagner le royaume des cieux sous Ce nouveau nom. Le Christ est de nouveau trahi et exécuté en terre serbe.
Pour le sixième centenaire de la bataille de Kossovo et du martyre de Saint Lazare, au millénaire du baptême de la Russie – l’église de Saint Sava sera couverte d’un toit, sommée d’une croix. L’église du saint représenté sur l’icône49 qui trône dans le Sobor des Archanges, la plus grande église de Russie.
Sur ce qui se passe de nos jours au Kossovo, s’élève aussi le visage de Saint Sava. Evoquons en cette occasion la tradition du Torrent de Lucas.
Dans la vallée de la rivière Ibar, à Ibarski Kolashin, se trouve le Torrent de Lucas, toujours couvert d’écume blanche. C’est là que le prince Lucas Pridvorianin s’est jeté à l’eau quand le peuple malgré ses ordres et ses prières décida de partir en Autriche, sous la conduite du patriarche Tsernoyevich50. Le prince ne voulait ni laisser son foyer, ni vivre sans ses frères. Il se précipita dans le torrent. Quand le peuple vint le chercher il resta introuvable. Un rocher qui ne s’y trouvait pas auparavant l’avait englouti. Le rocher se l’était approprié. Entendant le grand chagrin et les pleurs des paysans du prince, Saint Sava en eut pitié et créa le Torrent de Lucas, transformant les paysans en vagues blanches.
Toujours ils cognent contre le rocher, réclamant et tirant leur prince. A chaque coup l’un meurt et un autre naît.
Que chacun de nous devienne ainsi une vague blanche, cognant sans repos contre le rocher de l’injustice en défendant le sanctuaire de Kossovo.
« Archevêque de tout le pays serbe et du littoral, bienheureux père et maître théophore, Sava fut de son vivant un rassembleur. Après sa mort il guérissait par ses saintes reliques fidèles et infidèles, rapprochant ses frères des trois confessions en en faisant des témoins de son martyre. » Il a été brûlé pour avoir guéri « un Turc possédé du démon. »
Nos souverains, nos puissants seigneurs, les fondateurs, les archiprêtres, les paroissiens, ont bâti des centaines d’églises orthodoxes aux quatre coins du monde. C’est le plus beau de ce que nos pères ont laissé derrière eux, et c’est peut-être l’unique bien qui nous laisserons derrière nous.
Mais l’église Saint-Sava sur le Vratchar est la première, l’unique; celle qui nous rassemble tous, la fondation de toute notre âme, de tous les Serbes, de tous, dans le monde entier. Cette maison commune, cette église des églises – élevée à la mémoire de celui qui a placé la première pierre de notre existence sur la charte de notre spiritualité, qui l’a scellée du sceau de ses quatre lettres s’ -nous l’élevons par notre volonté à tous, à nos frais, sur la terre qui nous est donnée par le Christ.
Toutes nos églises sont bâties sur les reliques des saints. L’église de Saint Sava s’élève sur toutes les reliques, sur tous les os, sur le tombeau commun serbe, car ce sont les seules reliques de Saint Sava.
Fondons notre maison sur le Vratchar, ceux qui ont les plus belles maisons comme ceux qui n’en ont point ! Réchauffons-nous sous un toit unique, lavons-nous dans les larmes du repentir, embrassons les plaies les uns des autres. Différents en tout, unissons-nous par le nom de Sava. Rassemblons les cendres dispersées et l’âme dissipée de notre peuple en cet endroit unique. Soyons ses héritiers dans le bien et non seulement dans le mal.
Nos capitales étaient Jitcha et Studenica, Chilandar et le monastère de Cetinje52. Que notre nouvelle matrice soit la grande église sur le champ-symbole de Vratchar.
Que l’église du Vratchar soit la fleur dont la racine fut plantée il y a huit siècles au pied de l’Athos, à Chilandar. Une racine dont les branches atteignent les cinq continents, et dont la couronne émerge en ces jours sur le Vratchar. Que l’église invisible de notre coeur voie le jour et qu’elle monte haut dans les cieux de l’esprit et de la création à la mesure de ses racines.
Que l’église de Saint Sava soit la mémoire du passé et le signe du futur.
Soyons dignes de l’église de Saint Sana!
Que celui qui rapprochait les montagnes, nous rassemble, nous qui le prions:
« Hâte-toi Saint Sava, pour nous délivrer de la méchanceté, car les grands malheurs et signes de guerre, malheurs du corps et de l’esprit, enchaînent tes serviteurs ».
Traduction : B. BOJOVIC – J.L. PALIERNE.
Notes
1-Rastko Némanich – Saint Sava, premier archevêque (1219-1235) de l’Eglise autocéphale de Serbie, est la figure majeure de tout le Moyen Age serbe. Législateur, écrivain, diplomate, commanditaire et protecteur des arts, son oeuvre culturelle, ecclésiastique, idéologique, politique et spirituelle est d’une telle envergure qu’il laissa une empreinte profonde dans l’histoire et la conscience nationale. Aucun roi, homme d’Eglise, ou de culture dans l’histoire serbe ne peut lui être comparé. Fils d’Etienne Nemania (vers 1165-1196) souverain serbe qui finit ses jours comme moine au Mont Athos, il quitta dès son jeune âge la cour de son père pour se consacrer à l’idéal évangélique de la vie spirituelle. Sa spiritualité, puisée aux meilleures sources du christianisme oriental, alliant une pratique intense de prière et d’ascèse hésychaste à une large activité missionnaire, culturelle, politique et sociale, a imprégné si fortement la mémoire serbe qu’il est considéré comme le père de la culture serbe, celui qui est à l’origine du fait de civilisation nationale.2-Vratchar est la colline qui fait le point culminant de ce qui est aujourd’hui la vieille ville de Belgrade. C’est à cet endroit que le 10 mai 1595 le général Turc Sinan pasha brûla les reliques de Saint Sava.3-C’est le patriarche de Serbie Dimitri (1920-1929) qui a renouvelé, après la Grande Guerre, l’initiative de 1895, pour la construction de l’église de Saint Sava, dont la construction devait commencer en 1939.4-La signification des mots « Serbe » et « humain » (humanité au sens moral) se confond quelque fois dans le langage populaire. Ceci provient peut-être de la signification primitive du mot « Serbe » dont l’étymologie désignait le confrère, co-habitant, parent, en fait l’un des plus anciens, des plus archaïques des noms ethniques slaves (M. Budimir, O starijim pomenima srpskog imena, Glas 236, Odexeqe littérature i jezika 4, Belgrade 1959, p. 50-58; cf. F. Conte, Les Slaves, Paris 1986, p. 56. Schafarik et Dobrowsky pensaient que Serbe était le nom primitif de tous les Slaves (K. jirebek,Istorija Srba 1, Belgrade 1922, p. 46).5-C’est le signe de croix avec trois doigts des orthodoxes, au nom de la Sainte Trinité.6-La construction de l’église de Saint Sava ayant été interrompue en 1941 par la guerre, les murs d’une hauteur de 12 mètres restèrent à découvert pendant plus de quarante ans avant que l’Eglise, après d’innombrables démarches, pût obtenir l’autorisation de poursuivre les travaux en 1985.
7-La tradition, tant serbe que du monastère de Saint Sabbas de Jérusalem (l’un des fondateurs du monachisme au V-VIème) dans le désert de Judée, veut que le saint palestinien ait prédit qu’un saint évêque – prince d’un lointain pays septentrional – son homonyme, viendrait un jour s’y incliner et qu’un signe le confirmerait. Lorsque Saint Sava vint vénérer les reliques de son saint patron, le bâton d’higoumène de Saint Sabbas tomba tout seul à ses pieds.
8-En saint père théophore de l’Eglise de Serbie Saint Sava est assimilé ici au Christ ainsi que l’Apôtre Paul le dit: « Devenez mes imitateurs, tout comme je le suis moi-même du Christ. » (1 Cor. 11, 1), et « ce n’est pas moi qui vis c’est le Christ qui vit en moi », (Galat. 2, 20).
9-Une des grandes laures royales de Serbie, fondation pieuse du roi Vladislav (1233-1242), où furent vénérées les reliques de Saint Sava jusqu’au moment où elles furent emportées pour être brûlées à Belgrade en 1594.
10-Etienne le Premier Couronné, roi de Serbie (1196-1228), frère aîné de Saint Sava, couronné en 1217 avec la couronne envoyée de Rome par le pape Honoré III. Le roi Etienne se fit moine juste avant sa mort et fut canonisé plus tard sous le nom de moine Simon. Ses reliques sont aujourd’hui vénérées dans la grande laure de Studenica.
11-Fils aîné du roi Etienne le Premier Couronné, roi (1228-1233) et frère des rois Vladislav et Ourosh ler le Grand qui lui succéderont sur le trône de Serbie.
12-Jean Brankovich despote de Serbie (1493-1502), canonisé en 1509; ses reliques furent brûlées par les Turcs dans le monastère de Krushédol (en 1716).
13-L’église orthodoxe du village de Glina en Banie (Croatie) où les fascistes croates (les ustashi) entassèrent près de 200 villageois serbes avec femmes et enfants dans la nuit du 2 au 3 août 1941 pour les y brûler vifs. Dès la fin du mois de juillet environ 2000 Serbes furent assassinés à Glina et dans Ies villages environnants (D. Sivkoviç – D. Luéiç, Varvarstvo u ime Hristovo – La barbarie au nom du Christ, Belgrade 1988, p. 632).
14-Lieu de massacres et fosse commune d’environ 80.000 Serbes, hommes, femmes et enfants assassinés par les forces armées de l' »Etat Croate Indépendant » (1941-1945).
15-Le plus grand parmi les nombreux camps de concentration en Croatie fasciste qui servaient à l’élimination de Serbes, Juifs et Tsiganes et où furent assassinées 840 000 personnes, en grande majorité des Serbes.
16-Siège’ du patriarche de l’Eglise de Serbie au Moyen Age, puis du XVI au XVIlleme siècle le patriarcat de Pech (dans la région de Kossovo) fut l’objet d’un incendie criminel en 1981. Les coupables sont restés inconnus.
17-C’est pour empêcher la propagation du culte de Saint Sava à Miléshéva (Mileseva), où il était vénéré aussi bien par les orthodoxes que par les catholiques et les musulmans (fait confirmé entre autres par les voyageurs français de l’époque), que les Turcs firent brûler ses reliques sur la colline de Vratchar.
18-Trois évêques orthodoxes serbes sauvagement torturés et assassinés par les Croates au cours de la dernière guerre.
19-Plusieurs milliers d’écoliers et de civils de Kragujevac et de Kraljevo furent fusillés par l’armée allemande en octobre 1941, en représailles pour les actions de la résistance communiste et royaliste, selon le décompte – 100 Serbes pour un Allemand tué.
20-Les enfants et les civils réfugiés dans la montagne de Kozara en mai-juin 1942 devant les massacres croates et l’opération de ratissage allemande contre les partisans de Tito. Abandonnés à eux mêmes par les combattants communistes qui parvinrent à se dégager de l’encerclement allemand, ils furent massacrés en très grand nombre (env. 56 000).
21-Un grand nombre d’églises de la diaspora serbe sont dédiées à Saint Sava.
22- Jitcha (Zica), premier siège de l’archevêque de Serbie (1219) et lieu du sacre des rois serbes. Fondation pieuse du roi Etienne le Premier Couronné, bâtie et décorée par les soins de l’archevêque Sava.
23-La grande Laure monastique de Serbie, fondation pieuse de Etienne Nemania – Saint Siméon le Myroblyte, fondateur de la dynastie des Némanich et père de Saint Sava – qui s’occupa plus particulièrement de la décoration de la grande église du monastère, l’un des principaux centres de spiritualité en Serbie.
24-La grande Laure serbe, l’un des quatre principaux monastères du Mont Athos, fondé à la fin du XIIème siècle par Saint Sava, Saint Siméon et par Etienne le Premier Couronné.
25-Les peuples qui ont été victimes des génocides, déportations et exodes, Juifs, Arméniens, Tsiganes, Palestiniens, etc.
26-Résurgence des croyances pré-chrétiennes au cours de l’occupation turque dont on trouve quelquefois la trace dans les Contes populaires dont Saint Sava est le personnage préféré.
27-L’effigie de Saint Sava figurait sur l’étendard des insurgés du Banat à la fin du XVIeme siècle, qui fut l’une des plus grandes révoltes armées contre les Turcs durant leur occupation des Balkans. C’est à la suite de cette insurrection que Sinan pasha fit brûler les reliques de Saint Sava.
28-Première institution d’enseignement supérieur en Serbie libérée du joug turc dès le début du DœCme siècle.
29-Plusieurs bâtons d’archevêque attribués à Saint Sava se trouvent en divers monastères de Serbie.
30-C’est sur les reliques de Ieur père que Saint Sava réconcilia ses deux frères, le roi Etienne et le grand prince Voukan, qui avaient provoqué une guerre civile en se disputant le trône.
31-Dans l’hagiographie de son père qu’il écrivit au début du Xarkne siècle.
32-Basile Jovanovich, évêque de Trebinje en Herzégovine (+ 1671), ses reliques sont vénérées dans le monastère d’Ostrog, le plus important lieu de pèlerinage au sein de l’Eglise serbe.
33-Moine athonite et guide spirituel (starec) à Chilandar, Domentian qui fut le disciple de Saint Sava et l’écrivain majeur du XIlléme siècle serbe. Il écrivit l’hagiographie de Saint Sava ainsi que celle de son père Saint Siméon.
34-Un caloyer est un moine orthodoxe.
35-C’est sur l’insistance de son fils que Etienne Nemania abdiqua pour se faire moine et rejoindre Sava au Mont Athos où il mourut le 9 février 1200 en odeur de sainteté.
36-Saint Sava instaura le monachisme serbe au Mont Athos et donna des règles à celui de Serbie. II accomplit un travail fondamental de codification du Droit canon qui eut un rôle primordial dans l’établissement du Droit civil en Serbie du Moyen Age. Il orienta la spiritualité serbe vers
51-Le sceau qui fut celui de Saint Sava porte quatre mots « Sava » disposés en forme de croix. Les armoiries de la Serbie portent, dès le Moyen Age, quatre lettres « s », « c. » en cyrillique, dans les opposés à droite et à gauche dans les cantons formés par une croix.
52-Siège de l’évêque de Cetinje autour duquel la principauté de Monténégro se forma – au cours du XVIIème siècle – dans des guerres incessantes contre les occupants Turcs.
Les honneurs rendus aux grands hommes, aux héros sportifs, aux artistes et aux guerriers jouent depuis fort longtemps un rôle dans la culture. Le culte rendu aux saints, à cause de leur poursuite corps et âme de la perfection divine, fait partie de la culture chrétienne, pratiquement depuis le début.
Les saints incarnent la présence divine et sont vénérés comme modèles pour aller à Dieu. Dans l’Eglise primitive, les hommes et les femmes martyrisés pour leur foi étaient commémorés, d’habitude sur leur tombe et au jour anniversaire de leur martyre.
Plus tard, d’autres ont été reconnus comme saints parce que leur vie « confessait » Dieu. Ils ne se contentaient pas de croire en Dieu; leur vie était une imitation de la vie et de la présence du Christ sur terre. Le jour du repos d’un saint (sa mort) est considéré comme le jour de sa naissance à la plénitude du Royaume de Dieu.
Dans une famille serbe, la fête du saint patron du père est célébrée comme une fête pour toute la maisonnée. C’est ce qu’on appelle une slava. Le saint est un modèle de la vie transfigurée.
En devenant un chrétien, en se mettant au service de la création, en vivant dans l’amour et l’adoration, le saint réalise le but de l’existence humaine. A cause de la présence de Dieu dans leur vie, les saints sont invoqués pour le salut du monde.